~Déchéance ~
La souffrance n’est rien comparée à l’agonie. Mais les mois passent, lentement, et ma peine se décuple. Je ressens en moi cette atroce douleur. Tania, Tania… J’en veux pas de ce nom, je ne veux pas exister. J’ai rien demandé à personne, et voilà qu’on m’oblige à vivre. J’ai rien demandé à mes parents, et voilà qu’ils se déchirent entre eux, me laissant là dans l’ignorance. Comme tous les ados de mon âge, je vais au lycée, mais depuis que je ne me sens plus vivre, je me fais transparente. Je ne mange plus, ne dors plus, ne ressens plus, je ne suis plus rien. J’aspire à ne plus être, ainsi on me fichera la paix. Mais voilà que maintenant que je me rends volontairement associable, ma vie lycéenne ne ressemble à rien. Je m’enferme dans mon mutisme, je ne veux plus ressentir pour ne plus souffrir, mon seul plaisir se résume à me retrouver seule chez moi.
Pourquoi suis-je moi? Je peine à trouver un but à ma vie, elle n’est plus rien, je ne suis plus rien. Mes amis m’ont abandonnée, mon père également. Alors il est normal que les autres ne puissent m’aimer. Moi Tania, je suis une personne imperméable à l’amour, un réceptacle vide, on me fait croire des choses, on me trompe, on me dit que l’on m’aime, pour mieux m’abandonner ensuite. Il ne me reste que deux personnes, je sais qu’elles m’aiment. Ce garçon là bas, et la fille à ses côtés, une jolie blonde.
C’est qu’elle a du succès, Claire. Pas comme moi. J’me sens pas belle. Quand je marche à ses côtés, je baisse les yeux et me fond dans le décor, pour ne pas gâcher sa beauté. Je la laisse rayonner et briller, c’est que je ne désire pas ternir sa noble beauté par ma présence indigne. Peu importe, Claire ne me comprends peut être pas mais elle me soutient. Et ça me fait du bien. La petite luciole retrouve un peu de lumière, l’espace d’une heure ou d’une nuit, lorsque nous sortons ensemble nous amuser. Parce que mon sourire, je le garde. Et on croit Tania heureuse. C’est ça, foutez moi la paix, soyez hypocrites, ne vous intéressez qu’aux gens non muets et laissez moi dans mon silence. Comme cela fait du bien de ne compter pour personne. Mauvaise foi ? Bien sûr que oui, je voudrai qu’on m’adule au moins autant que Claire, mais que voulez-vous, c’est ainsi, je fais aller.
Les mois passent, je me complais dans mon silence. Mes parents aussi. Mon père ne me voit pas comme sa fille, et ma mère reste une personne effondrée. Je sens que je baisse dans l’estime de tous. Je suis seule, toute seule. La douce Tania sociable en pleurs, tous les jours, toutes les nuits, sans une minute de répit, pour mieux revenir parmi les lycéens le lendemain dans un grand sourire. Sacrilège, moi Tania, l’élève modèle, voilà que mes notes dégringolent, on veut me faire redoubler. Je suis là face à ce professeur, avec ma mère qui s’inquiète, et moi qui m’en fiche royalement. Je vous l’ai dit, je ne ressens plus.
Comme tous les ados je ne communique pas avec mes parents. A vrai dire je ne communique avec personne, pas même avec moi. J’évite les miroirs qui reflèteraient mon abject reflet. Regardez la, cette fille aux cheveux bruns. Ce qu’elle est pâle, ce qu’elle est laide, ce qu’elle est inintéressante. Oh mais, je le sais bien. Je les évite, ces miroirs, tout comme j’évite le regarde des autres. L'Enfer, c'est les autres, avait dit Paul Eluard. Et comment.
Les mois passent, et mes notes remontent par quelque miracle. Mais je ne suis jamais bien. Et la beauté de Claire empire les choses, et ce garçon là bas, mon ami, encore plus. Je me sous-estime, je ne sers à rien, je veux juste m’endormir pour ne jamais me réveiller. Oui, rester dans mes songes, la nuit au moins on me laisse tranquille. Regardez-la, la Tania, elle veut emprunter le chemin de Rachel vers les Anges.
Moi c’est Tania, ado paumée. Normal après tout, je souhaite effacer mon passé et écourter mon avenir. Effacer mon passé….J’y suis arrivée oui, il me manque des souvenirs, que j’ai gommé volontairement. Comme cette nuit où IL s’est approché de moi, son odeur me donnait la nausée, j’avais peur, là dans le noir. Oui, la pitoyable Tania a peur du noir depuis ce temps là. Non je ne peux aller plus loin, mon esprit se bloque. J’ai pas envie. J’avais quatre ans. Et ça, je le garderai pour moi.
La souffrance n’est rien comparée à l’agonie. Et j’agonise sans me débattre. J’attends la suite.
...A suivre